Demba Mballo, hôtelier : retour gagnant d’un ancien émigré

04 - Novembre - 2021

Des hommes de sa trempe, on n’en trouve pas beaucoup dans le Fouladou. Ancien émigré sénégalais établi en France, Demba Mballo a préféré rentrer et investir dans l’hôtellerie à Vélingara, sa terre natale, afin de participer au développement de son pays, le Sénégal.

 VÉLINGARA– Son retour définitif au pays natal fut une grande surprise pour sa famille. Pour amis et proches, ce come-back était l’expression d’un échec total. Un affront familial… Mais, Demba Mballo, longiligne homme de 58 ans, est toujours resté zen. Droit sur sa position. Il a ainsi gobé toutes sortes d’injures et de quolibets. Ses détracteurs ont même soutenu qu’il avait perdu la tête. « On m’a traité de tous les noms d’oiseau. On m’a dit que j’étais fou, que j’avais pété un câble. On ne pouvait pas tolérer que je puisse quitter l’Europe pour venir m’installer définitivement à Vélingara ».

C’était en 1987. À cette époque, Demba, jeune enfant à l’esprit plein de projets, avait décidé de renoncer à sa « vie dorée » en France pour (re)fouler, à nouveau, les pistes de brousse brûlées de sa terre natale, Saré Boulel, dans la commune de Kandia, département de Vélingara. Une décision que certains avaient qualifiée d’irréfléchie et qui avait outrée ses parents. Unanimement, ces derniers ont failli bannir leur fils prodige pour avoir osé troquer sa vie « étoilée » d’immigré contre les « misères » du monde rural. Mais, pour l’enfant de Saré Boulel, il devait être l’artisan de son propre destin. « Quand je suis arrivé en France, j’ai compris que mon avenir n’était pas lié à l’Europe. Pour moi, il n’était pas question d’y rester. Je voulais rentrer et servir mon pays. Aujourd’hui, j’ai prouvé à mes pourfendeurs qu’ils avaient tort, qu’on peut vivre et réussir chez nous », confie Demba Mballo. L’avenir lui a, en effet, donné raison. Parti de rien, il gère, aujourd’hui, un grand hôtel à Vélingara du nom de « Lew Lewal ».

 Demba Mballo. Un nom anodin. Cependant, son histoire est un exemple de vie. C’est le parcours d’un ancien émigré sénégalais qui a abandonné fortune et luxe, avantages et merveilles au pays de Marianne pour retourner vivre chez lui, au Sénégal. Un choix qui fut difficile ! Mais pour lui, il fallait coûte que coûte participer au développement de son pays tout en faisant fi des jugements et préjugés des autres. La foi en bandoulière, il s’est alors accroché à son rêve et n’a guère abdiqué. « Je ne suis pas contre ceux qui émigrent et y restent. Mais pour moi, j’avais le devoir d’être utile à mon pays. Je suis rentré au Sénégal après avoir acquis de l’expérience dans mon domaine de prédilection » : l’hôtellerie.

 Oser, entreprendre, réussir…

 Mais quels débuts difficiles ! Des moments troubles, des obstacles surmontés… Seulement, Demba a toujours cru en lui, en son potentiel. « Quand j’ai décidé de monter mon campement touristique, c’était très difficile », se souvient-il. « J’ai commencé avec 500 000 FCfa. Aujourd’hui, le campement est devenu un grand hôtel de la place. Rien n’est facile dans la vie, il faut croire en soi. J’ai construit l’école primaire de Saré Boulel en 1995. Cette école est, de nos jours, devenu un centre d’examen et les premières générations de l’établissement travaillent tous actuellement. Quand on ose, on peut réussir. Il faut savoir organiser son travail pour atteindre ses objectifs », croit-il ferme.

Cette morale de vie va illuminer son quotidien d’entrepreneur. De petit poucet, son campement gagne de l’aura. Grâce au travail acharné et au professionnalisme de son personnel, son bébé a grandi et dame le pion aux hôtels de la place. « La vie, dit-il, est un combat de tous les jours. Il faut toujours anticiper pour que cela ne soit pas trop tard. En 2012, beaucoup de mes clients avaient boudé l’hôtel parce qu’il n’y avait pas d’électricité. En 2019, quand ceux-là même ont appelé pour faire la réservation, il n’y avait plus de places disponibles, les observateurs de l’Union européenne avaient réservé tout l’hôtel ».

 Issu d’une famille nombreuse, Demba Mballo, débit de parole rapide et gestuelle agile, a fait ses études primaires à Vélingara. Puis, il est allé poursuivre son cursus scolaire à Ziguinchor. Et c’est là, en Basse-Casamance, qu’il va décrocher un contrat lui permettant de fouler le sol français. De voyage en voyage, de séjour en séjour, Mballo finit par s’installer en France. Les jours passent, son esprit est tourné vers le Sénégal, son pays d’origine. Finalement, la fibre patriotique prenant le dessus, il retourne à Vélingara où il vit et fait vivre grâce à son établissement hôtelier. « J’ai investi dans le capital humain. Je suis très fier d’avoir été utile à ma localité. J’ai préféré recruter des jeunes de Vélingara que d’aller chercher ailleurs. J’ai embauché cinq jeunes qui sont permanents et quatre autres qui sont des saisonniers. En fonction des séminaires et conférences, je fais appel à d’autres personnes de Vélingara », dit-il.

 « Que les immigrés reviennent investir au Sénégal… »

 Adepte du travail bien fait, Demba fait le service comme tous les autres. C’est un touche-à-tout. « Je me sens bien dans ma peau. Je travaille dur et ne laisse aucun détail ». Chez lui, pas de boss. Pas de patron. Encore moins de subordination. Tous travaillent pour la satisfaction du client. Le regret de Demba, c’est de voir ces milliers de jeunes sénégalais embarquer à bord des pirogues de fortune pour affronter les vagues tueuses de la Méditerranée, à la recherche d’une vie meilleure. Alors que, jure-t-il, la main sur le cœur, il est possible de rester et de réussir chez nous. « Beaucoup de jeunes pensent que la vie est meilleure en Occident. C’est faux ! C’est regrettable de les voir partir sans revenir. La vie est très compliquée en Europe, il faut y aller pour comprendre cela. Il n’y a pas de solidarité en Occident, tout est payant, rien n’est gratuit. C’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Que les immigrés reviennent investir au Sénégal. Il y a beaucoup d’opportunités qui s’offrent à eux », tente-t-il de convaincre.

À son avis, ce retour au pays natal ne sera que bénéfique pour eux et leur patrie. Des jeunes chômeurs pourront ainsi trouver du travail et les entrepreneurs en sortiront plein aux as. Ce nouvel écosystème va contraindre les jeunes candidats à l’émigration clandestine à renoncer à la périlleuse aventure. « C’est le problème d’emploi qui pousse les jeunes à émigrer clandestinement. Mais, l’État est en train de trouver des solutions avec le programme « Xëyu Ndaw Ñi » (l’emploi des jeunes) qui, à terme, permettra à beaucoup de jeunes de trouver un travail décent. L’État doit donc mettre l’accent sur le monde rural pour absorber le gap de chômeurs. Mieux, cela permettra à nos champions nationaux de relever la tête en cas d’imprévu », argumente l’hôtelier.

« La Covid-19 a surpris tout le monde. La maladie a impacté le tourisme, avec une rareté des clients occidentaux. Avant la pandémie, on enregistrait beaucoup de touristes. Il nous arrivait d’avoir 22 camping-cars. Et dans chacun, on avait au moins trois personnes. La Covid-19 a ralenti nos activités, mais on n’a pas beaucoup subi l’impact de la maladie parce qu’on a fait de la clientèle locale une priorité. Notre clientèle s’est fidélisée à l’établissement. Il est donc important que le Sénégal développe le tourisme local », dixit Demba Mballo.

 « Lew Lewal », un bijou architectural

 Planté à la périphérie de Vélingara, à environ trois kilomètres de la ville, « Lew Lewal » (clair de lune en pulaar) est un hôtel à l’architecture paysanne inspirée des cases traditionnelles du Fouladou. Ce joyau, logé à l’extrême ouest de Vélingara, attire par sa modestie, son originalité et sa quiétude. Mais aussi et surtout par son service reconnu qui s’adosse sur le triptyque travail, sérieux et professionnalisme. Dans la zone, l’hôtel jouit d’une bonne réputation d’accueil, de propreté et de tranquillité. À « Lew Lewal », pas de téléphone ou de WhatsApp aux heures de travail. Pas de bruit. Pas de folklore. Ou presque. La tenue correcte est exigée au personnel. L’hôtel abrite la troisième plus grande salle de conférences du pays, en termes de capacité d’accueil, avec 450 places, soutient M. Mballo. Les chambres sont construites avec de la matière locale, notamment du géo-béton. « Ce modèle me permet d’économiser de l’énergie parce qu’avec ces cases, j’utilise moins d’électricité. Pour les points lumineux, les 40 % de l’éclairage sont en solaire. Le client est le plus important du maillon. Sa satisfaction reste ma priorité. Il faut bien le servir », estime son propriétaire, Demba Mballo. Pour effectivement mieux se servir…

Ibrahima Kandé (LE SOLEIL)

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle
Autres actualités

HOMMAGE A TAMSIR OUSMANE BA :Repose en paix Almamy Tamsir

10 Septembre 2023 1 commentaires
Militant infatigable de la défense des droits de l'homme, Tamsir se définit comme un être très sensible à la détresse humaine. Un homme qui ne pa...

DIASPORA VISION est un journal d'information généraliste en ligne qui traite des thématiques axées sur la diaspora africaine à travers le monde. DIASPORA VISION dispose aussi d’une plateforme video avec des journalistes reporters d'images.Information, film publicitaire, reportage événementiel, film documentaire, … Quels que soient vos projets, nous nous adaptons à votre demande.

Pr Mary Teuw Niane, vous permettez…

24 Avril 2024 0 commentaires
La thèse avancée par le Pr Mary Teuw Niane, suggérant que la laïcité est un concept étranger à la culture sénégalaise, peut &...
Demande de renseignement

Contactez nous au


ou